L’impact stratégique de l’événementiel et l’animation urbaine
En pleine catapulte à grande vitesse du tourisme au Maroc, il semble que les formes d’hébergement donnent des prémices de bon aloi en sortant de plus en plus des schémas classiques. Toutefois, Riads sans autorisation dans les médinas, écolodges isolés dans l’Atlas, hébergements informels en bord de mer loués via Airbnb… autant d’exceptions qui échappent aux radars réglementaires mais captent une part croissante de la demande. Face à cela, l’administration du tourisme a entrepris une réforme d’ampleur pour intégrer ces structures au système officiel. Si les orientations sont claires, leur exécution soulève tout de même des questions stratégiques, structurelles et opérationnelles qui doivent être revisitées sans concessions.
Certes, l’administration du tourisme et la FNIH organisent des rencontres régionales avec les opérateurs non classés, notamment les maisons d’hôtes et les riads, pour les sensibiliser à l’intérêt du classement. À Marrakech, cette dynamique a permis de classer 1 715 maisons d’hôtes, soit environ 68 % de l’offre existante recensée par la délégation régionale.
Mais dans la médina de Fez, de nombreux riads, souvent gérés par des propriétaires étrangers, restent hors cadre : leur activité, très saisonnière, repose sur un marketing direct ou des plateformes numériques, sans réelle volonté d’intégration au système de classement. Faute de pression réglementaire ou d’incitation fiscale claire, leur mise en conformité reste marginale.
Autre exemple : à Tafraout, plusieurs maisons d’hôtes fonctionnent en circuit court, sans référencement en ligne, accueillant une clientèle locale ou de randonneurs sur recommandation orale. Ces structures, souvent familiales, perçoivent la régularisation comme une charge administrative inaccessible plutôt qu’un levier de montée en gamme.
Autrement, l’expérience pilote lancée à Ouarzazate en partenariat avec la SMIT a permis de diagnostiquer la situation d’une trentaine d’établissements, notamment dans l’axe Skoura–Aït Ben Haddou. Ce territoire combine de fortes potentialités touristiques (cinéma, kasbahs, patrimoine UNESCO) mais avec des établissements informels opérant souvent depuis plus de dix ans sans aucune immatriculation.
Le modèle testé repose sur une approche par « itinéraires thématiques » (tourisme oasien, culturel, saharien) avec une grille de pré-diagnostic modulée selon les spécificités locales. Il a permis à 7 établissements de formaliser leur situation en 4 mois, avec une assistance juridique et technique dédiée.
Mais si ce modèle fonctionne à Ouarzazate, sa transposition dans des zones plus dispersées comme le Haut Rif ou les confins du Drâa-Tafilalet nécessitera des adaptations structurelles : manque de CRI présents physiquement, faiblesse du tissu associatif local, difficulté d’accès aux experts agréés.
La loi 80.14 et ses textes d’application prévoient un cadre unifié pour toutes les formes d’hébergement touristique. Parmi les innovations :
– Le passage d’un classement par catégories (A, B, C) à un système par étoiles introduit un référentiel lisible et internationalement reconnu. À titre d’exemple, un écolodge de l’Ourika, géré selon des normes écoresponsables, pourra désormais prétendre à une classification officielle, sur la base de critères environnementaux spécifiques, alors qu’il était auparavant exclu du système faute d’appartenance à une typologie officielle.
– Le recours à des visites mystères sur la base de 800 critères, élaborés avec l’OMT, représente une avancée significative. Lors d’une expérimentation menée en 2024 sur 12 établissements de la zone Essaouira–Sidi Kaouki, les principaux écarts ont été relevés non pas sur le confort matériel, mais sur l’expérience client post-séjour (gestion des réclamations, politique d’annulation, relation de suivi).
– La période transitoire de deux ans prévue pour les établissements non conformes reste théorique si elle n’est pas accompagnée d’un plan de formation. À Chefchaouen, plusieurs hébergements gérés par des coopératives féminines ne disposent d’aucune ressource pour engager les adaptations requises, faute de financement dédié ou de diagnostic initial.
L’un des enjeux importants reste l’intégration des formes d’hébergement diffusées via les plateformes numériques (Airbnb, Booking, Abritel), qui représentent jusqu’à 35 % des nuitées dans certaines destinations comme Taghazout ou Imsouane selon les estimations croisées de l’ONMT et des données de scraping de 2023.
À Marrakech, environ 6 500 logements sont proposés sur Airbnb, dont une large majorité ne sont ni classés ni déclarés. Ces établissements échappent à toute fiscalité locale, à toute norme sanitaire ou de sécurité, et créent une distorsion de concurrence majeure vis-à-vis des hôtels et maisons d’hôtes formels.
Pire encore, ils complexifient le pilotage du tourisme national : en l’absence d’obligation de déclaration, l’ONMT et le ministère ne peuvent capter ni les flux réels ni les profils de voyageurs, affaiblissant l’ensemble de l’architecture de veille touristique.
La réforme engagée pour intégrer les établissements non classés est indiscutablement nécessaire. Mais pour éviter une polarisation entre hébergements structurés en zones urbaines et informels en périphérie, trois conditions apparaissent prioritaires :
1. Territorialiser l’accompagnement, avec des cellules mobiles et des partenariats locaux (associations, communes, chambres de commerce) pour aller vers les opérateurs les plus éloignés de l’administration.
2. Instaurer des mécanismes d’incitation différenciés, par exemple via des exonérations fiscales conditionnées à la régularisation ou des aides à la mise aux normes pour les zones rurales ou reculées.
3. Encadrer fermement l’économie de plateforme, avec une obligation de déclaration, un numéro unique d’immatriculation, et un partage des données d’activité pour intégrer pleinement ces offres au modèle national.
La qualité du tissu touristique marocain dépendra moins de la législation produite que de sa capacité à intégrer les marges, à faire converger les standards, et à réconcilier innovation, équité territoriale et excellence de l’offre.