11 juillet 2025

Comment revaloriser nos guides du tourisme en toute équité et intelligence?

Avec l’embellie touristique qui s’empare de notre destination et face aux ambitions internationales que nous nourrissons pour 2030 pour faire encore mieux, le défi est désormais de construire un cadre de professionnalisation cohérent de nos guides du tourisme, sans céder à l’uniformisation ni à l’exclusion des profils atypiques.

La loi n° 05.12, adoptée pour pallier une vacance juridique persistante, a justement instauré une structuration normative du métier. Elle conditionne l’accès à la profession à une formation initiale dispensée dans des établissements accrédités, avec une exigence de recyclage professionnel triennal.

Sur le terrain, l’impact de ce texte demeure inégal. Les grands bassins touristiques -Marrakech, Agadir, Tanger- ont su rapidement s’approprier ces nouvelles normes grâce à la présence d’instituts actifs comme l’ISITT, qui a diplômé près de 200 guides entre 2020 et 2024. En revanche, dans les zones périphériques, comme Midelt, Figuig ou les Hautes Vallées de l’Atlas, l’absence d’antennes locales de formation crée une forme de fracture d’accès. Cette disparité compromet la représentativité des savoirs vernaculaires dans l’offre touristique nationale, sans parler de l’équité territoriale favorable par endroits, défavorable ailleurs…

Comme l’explique un professionnel pur et dur, la solution ne saurait être une simple duplication de structures, mais bien l’élaboration d’un modèle pédagogique hybride,  combinant sessions présentielles courtes, mentorat terrain et modules numériques accessibles en faible connectivité.

L’approche tourisme.academy, lancée par l’administration, est en soi un pas décisif. Cette plateforme ouverte propose des contenus ciblés, allant de la gestion interculturelle à la réponse aux situations d’urgence en contexte touristique. Son potentiel est d’autant plus prépondérant pour beaucoup de professionnels que le digital peut pallier les inégalités d’accès géographique à la formation continue.

Cependant, les chiffres restent en deçà des attentes : à peine 35 % des utilisateurs inscrits ont validé un module complet entre 2022 et 2024. Cette sous-performance révèle plusieurs défaillances : un déficit de communication autour de l’outil, une fracture numérique persistante (notamment dans les zones montagnardes), et l’absence de reconnaissance officielle des compétences acquises en ligne.

Pour débloquer ce potentiel, les professionnels recommandent une approche systémique à travers l’inclusion de la certification numérique dans les parcours de reclassement, campagnes ciblées via les radios locales, et partenariats tripartites entre communes, fédérations de guides et ministères concernés.

Il faut reconnaître que les concours professionnels de 2018 et 2023 ont marqué un tournant important. En régularisant près de 2 400 guides non diplômés mais expérimentés, ils ont permis l’intégration d’une richesse humaine et culturelle souvent marginalisée. Ces profils, principalement issus du Rif, du Moyen Atlas ou de nos provinces du sud, sont porteurs de connaissances précieuses : dialectes amazighs spécifiques, cartographie orale des sentiers de trekking, compréhension fine des rituels sociaux tribaux…Quoique le caractère ponctuel de ces concours limite leur impact à long terme. L’absence de perspective claire de renouvellement freine l’aspiration des nombreux guides informels encore actifs à s’engager dans une démarche de reconnaissance.

Que faire alors ? Les professionnels et experts pensent qu’il devient urgent d’inscrire ce mécanisme dans la durée via un dispositif de VAE (Validation des Acquis de l’Expérience) ancré dans la loi, administré par des commissions régionales mixtes incluant représentants des autorités, professionnels et communautés locales.

A un autre niveau, la généralisation de la couverture médicale et de la retraite, alignée sur le régime des auto-entrepreneurs, constitue un tournant pour la dignité professionnelle des guides. À Chefchaouen, grâce à une campagne multi-acteurs, plus de 60 % des guides actifs ont été intégrés au régime CNSS, leur permettant enfin d’accéder à des droits sociaux fondamentaux.

Cependant, une composante essentielle reste négligée : l’assurance responsabilité civile professionnelle. Dans un contexte où les litiges liés à la prestation touristique sont en augmentation (blessures lors de randonnées, conflits d’interprétation culturelle, retards logistiques), cette couverture constitue un bouclier indispensable, autant pour la protection des guides que pour celle des clients. Son absence crée une vulnérabilité juridique croissante.

Intégrer cette assurance dans le socle minimal des obligations professionnelles serait peut-être un pas décisif vers une profession régulée et responsable.

Il est vrai que le Maroc a franchi des étapes importantes vers la structuration du métier de guide, en liant professionnalisation, digitalisation, reconnaissance empirique et protection sociale. Mais le succès de cette transformation dépendra d’un changement de paradigme : ne plus penser le métier de guide comme un rôle figé dans un modèle unique, mais comme une constellation de compétences, de profils et de contextes.

La réforme à venir devra privilégier une régulation à géométrie variable, intégrant à la fois les diplômés des villes, les experts de terrain, les profils multilingues, les guides naturalistes, religieux ou patrimoniaux. Cela exige des outils d’évaluation souples, des politiques de formation ciblées, des incitations à la mutualisation des savoirs… et une volonté politique de faire de cette profession non plus une fonction marginale, mais un pilier stratégique de la qualité touristique nationale.

Revaloriser nos guides, c’est repositionner l’âme même de notre offre touristique.

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