11 juillet 2025

Toujours ce manque d’équité régionale dans le tourisme interne

C’est l’évidence même. Avec près de 30 millions de nuitées en 2024, dont 8,5 millions enregistrées dans les établissements hôteliers classés (EHTC), le tourisme interne démontre par là sa résilience, une fois de plus, sur le balancier touristique marocain. Il représente près d’un tiers de la demande globale et génère plus de 40 milliards de dirhams de dépenses directes, soit plus du double des recettes issues du marché français, pourtant premier pourvoyeur international. Mais malgré cette performance atemporelle, cette niche stratégique demeure paradoxalement sous-structurée, trop saisonnière et prise en étau entre l’essor informel, la désintermédiation numérique et l’obsolescence de ses canaux historiques.

Les chiffres démontrent une résilience constante : Le tourisme interne connaît une trajectoire ascendante, avec une hausse de 4 % des nuitées en EHTC entre janvier et mai 2025, et une montée continue des flux domestiques dans les grandes destinations. Mais cette dynamique reste très fortement polarisée :

-45 % des nuitées internes se concentrent sur les mois de juillet et août, générant des pics logistiques insoutenables ;

-La durée moyenne de séjour chute à 2,3 nuits dans l’hôtellerie formelle, contre 10,2 nuits dans l’informel, signe d’une consommation touristique encore discontinue, liée aux vacances scolaires et aux ponts fériés.

Agadir illustre cette pression : malgré une augmentation de 5 000 lits supplémentaires entre 2021 et 2025, la station affiche un taux de remplissage supérieur à 90 % en été, avec une inflation des prix de +27 % sur certaines catégories d’hébergement, excluant progressivement les classes moyennes de l’offre balnéaire organisée.

Du coup, on constate que le basculement massif vers des formes d’hébergement non classé s’accélère. En 2024, les plateformes numériques ont capté près de 15 % du total des nuitées internes, contre 12 % en 2022. Qui plus est, plus de 50 000 annonces Airbnb actives au Maroc, dont 19 % dans la seule région de Marrakech-Safi, alors que les séjours y sont plus longs, moins encadrés, et économiquement attractifs (jusqu’à -35 % du coût moyen par nuitée vs. hôtel 3 étoiles).

Mais ce succès, encore peu encadré, engendre une triple dérive :

1. Érosion fiscale significative : l’essentiel de ces flux échappe à la TVA et à la taxe de séjour ;

2. Risque sécuritaire et sanitaire, avec des milliers d’hébergements hors norme ;

3. Distorsion de concurrence au détriment de l’hôtellerie structurée, fragilisant son modèle économique.

Dans tout cela, les agences de voyages marocaines demeurent les grandes perdantes de l’ère post-intermédiée. La désintermédiation du marché frappe en effet de plein fouet les agences locales :

-Près de 65 % des touristes marocains réservent désormais leurs séjours directement (plateformes de location, comparateurs, pages sociales), réduisant drastiquement la place des circuits traditionnels ;

-Plus de 50 % des agences de voyages sont aujourd’hui en situation de fragilité économique, surtout celles hors niches religieuses (Omra, Hajj) ou affaires ;

-La part des packages conçus spécifiquement pour le marché national est inférieure à 8 % du portefeuille global des agences.

Le schéma reste dominé par quatre destinations : Marrakech, Agadir, Casablanca et Tanger, qui concentrent près de 70 % des nuitées internes. À l’inverse, des régions à fort potentiel -comme le Rif, l’Oriental, les oasis présahariennes, ou encore les plateaux de Béni Mellal-Khénifra- restent marginalisées faute d’infrastructures, d’ingénierie produit ou de connectivité.

Cette asymétrie territoriale creuse un fossé en matière d’équité touristique et empêche le tourisme interne de jouer pleinement son rôle de levier de cohésion nationale.

D’accord, le ministère du Tourisme et l’ONMT multiplient les initiatives en faveur du tourisme domestique à travers des campagnes ciblées comme « Ntla9aw fbladna », désormais déclinées régionalement, un renforcement des lignes aériennes internes via RAM Express et accords régionaux (ex. Béni Mellal, Guelmim) et le lancement du programme Go Siyaha pour accompagner les TPME touristiques.

Mais le déséquilibre entre l’offre organisée et la demande informelle persiste. Trois absences majeures affaiblissent l’impact :

1. Absence de plateforme nationale d’intelligence touristique permettant de suivre les comportements de consommation internes ;

2. Aucune régulation des prix en période de pic, laissant place à des pratiques spéculatives ;

3. Faible soutien à l’hôtellerie familiale et aux opérateurs locaux dans les régions émergentes.

Face aux limites du modèle actuel, les experts pensent qu’il est urgent de repenser la chaîne de valeur autour de six priorités stratégiques :

-Formaliser et encadrer l’hébergement alternatif : plateforme nationale obligatoire, fiscalité adaptée, certification minimale qualité ;

-Renforcer les capacités des agences locales : digitalisation subventionnée, co-création de produits courts séjours avec les CRT ;

-Soutenir l’hôtellerie nationale avec des produits sur mesure : formules modulables pour familles, abonnements week-end, pass touristiques nationaux ;

-Rééquilibrer les flux territoriaux par des incitations à la découverte des « zones froides » : packages promus en basse saison, partenariats avec les collectivités ;

-Dynamiser la consommation hors saison : campagnes promotionnelles géolocalisées, événements culturels régionaux « hors vacances » ;

-Mettre en place une fiscalité incitative pour les opérateurs qui respectent un prix-plafond pour les touristes nationaux.

Il est temps de faire du Maroc une destination de cœur, accessible, équitable et valorisante pour tous ses citoyens.

Read Previous

Nouvelle offensive ciblée de la RAM sur l’Europe et l’Afrique

Read Next

Comment revaloriser nos guides du tourisme en toute équité et intelligence?

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *