Assez rigolé !

Plus qu’un cri de colère, la montée du mouvement GZ212 révèle, surtout, une rupture plus profonde d’une jeunesse formée, connectée, lucide, qui refuse de voir son avenir prisonnier d’une administration obsolète et d’un modèle économique saturé de procédures. Si la génération Z se fait entendre avec ampleur, c’est parce qu’elle a compris que le pays ne manque ni d’idées ni de talents, mais de courage décisionnel.

Il y a, dans le débat actuel sur la gouvernance économique marocaine, une vérité ineffaçable sur la lenteur des réformes structurelles et la lourdeur administrative continuent d’étrangler l’initiative privée et d’anesthésier le potentiel de croissance nationale. Le cas du secteur touristique, emblématique à plus d’un titre, est ce paradoxe d’un pays doté de ressources humaines et naturelles exceptionnelles, mais prisonnier de procédures, de duplications institutionnelles et de réflexes centralisateurs.

Le constat est largement partagé. Tel celui d’un grand professionnel de la place qui s’indigne à travers cette anecdote, « pour ouvrir une simple crémerie dans la région de Casablanca-Settat, il faut parfois attendre jusqu’à six mois ». Un exemple simple  qui implique que ce délai, symptôme d’un appareil administratif hypertrophié, en dit long sur les difficultés de l’entrepreneuriat marocain. Dans le même temps, des projets d’envergure, à l’image du Palais des Congrès et d’Expositions de Casablanca, qui stagnent entre études, annonces et reports.

Ces lenteurs traduisent tout bonnement une déconnexion profonde entre l’intention stratégique de gouvernance et la capacité opérationnelle de réalisation de chantiers promis sur le papier et dans les médias, sans suite, sans contrôle et, pire, sans explications…

Notre pays a multiplié, depuis les années 2000, le lancement mort-né des dispositifs institutionnels, comme la fameuse Haute Autorité du Tourisme, le Conseil Supérieur du Tourisme, les non abouties Visions 2010 et 2020, sans que ces structures ne produisent l’effet d’entraînement espéré. Les raisons sont connues : redondance des organes de décision éparpillés sans coordination intersectorielle et, surtout, une méfiance persistante envers le secteur privé, encore perçu comme un auxiliaire plutôt qu’un partenaire stratégique.

Avec plus de 80 % des secteurs économiques sous gouvernance publique, le Maroc demeure l’un des rares pays d’Afrique du Nord où l’État conserve un rôle quasi monopolistique dans la régulation, la gestion et parfois même la production.

Cette omniprésence, héritée d’un modèle dirigiste des années 1970, a certes permis d’assurer la stabilité macroéconomique et la continuité des services essentiels. Mais elle freine aujourd’hui la dynamique d’investissement et l’émergence d’un capitalisme productif et innovant.

La faiblesse du tissu privé, encore dominé souvent par les PME familiales et les microstructures, rend difficile la mise en œuvre de stratégies de croissance inclusives tel que prôné par Sa Majesté. Pourtant, l’exemple de plusieurs pays méditerranéens, comme le Portugal ou la Grèce post-crise, montre que la délégation de gestion au secteur privé, accompagnée d’un contrôle public rigoureux, peut produire des résultats spectaculaires. L’exemple de la gestion déléguée du quai des croisières de Casablanca serait, peut-être, le début d’une nouvelle option de développement qui pourrait donner des résultats au niveau des aéroports du Maroc et autres, pourquoi pas ?

Justement, pourquoi ne pas appliquer ce modèle au Maroc ? Déléguer, par exemple, la gestion de certaines zones touristiques ou de formations professionnelles à des consortiums mixtes public-privé sous cahier des charges strict, permettrait de désengorger l’État tout en mobilisant l’énergie entrepreneuriale nationale ?

Il y a trente ans déjà, les experts recommandaient de doter chaque grande ville touristique d’un Institut Supérieur International du Tourisme (ISITT), à l’image de l’institut pionnier de Tanger. La promesse n’a jamais été tenue.

Les Écoles Nationales de Commerce et de Gestion (ENCG), elles, ont essaimé sur le territoire, devenant un modèle de réussite régionale. Pourquoi ne pas reproduire cette formule pour le tourisme, secteur générateur d’emplois directs et indirects à fort effet multiplicateur ?

Le problème, ici encore, tient à la centralisation des décisions. Les régions, censées être des pôles autonomes de développement depuis la réforme de la régionalisation avancée, demeurent dépendantes des autorisations centrales. L’État reste juge, arbitre et parfois concurrent.

Résultat : les talents locaux, les jeunes diplômés, les porteurs de projets régionaux, ces jeunes élites formées qu’on n’a pas su recruter à 100 %, se retrouvent découragés, voire exclus du processus de développement.

Le mouvement de GZ212 doit être pris dans son côté plus large et doit devenir un tremplin de réinvention économique. Il s’agirait de créer de l’emploi, bien sûr, mais aussi et surtout de refonder les mécanismes de production de valeur.

Les industries touristiques résistantes et résilientes, hôtellerie locale, tourisme culturel, gastronomie, écotourisme, sont en pleine mutation mondiale, pourquoi pas chez nous ? Le Maroc dispose d’un atout majeur contenu dans un territoire diversifié et encore sous-exploité. Les zones à potentiel extraordinaire, notamment dans le Sud, le Rif et les oasis, attendent des projets concrets, pas des congrès de plus.

Cette transformation exige une posture nouvelle des élites économiques avec moins de communication médiatique, plus d’action concertée. Les photos souriantes de satisfecit béat ne trompent plus personne. Ce qui manque, ce n’est pas la vision, mais la capacité de mise en œuvre et le courage collectif.

La véritable réforme n’est pas dans la multiplication des comités ou des plans décennaux, mais dans le changement de paradigme, à travers la simplification radicale des procédures pour libérer l’entrepreneuriat, la responsabilisation des régions, l’instauration d’une évaluation transparente des politiques locales, la valorisation de la compétence privée nationale plutôt que de la marginaliser, etc.

Le Maroc ne manque ni de talents, ni de ressources, ni d’idées. Ce qui manque, c’est la cohérence entre la parole publique et l’action. Tant que cette cohérence ne sera pas retrouvée, les meilleures visions resteront lettres mortes, et les patriotes patrons demeureront spectateurs là où ils devraient être moteurs.

Oui, le Maroc se trouve à un moment charnière. La crise de confiance entre État, secteur privé et jeunesse formée n’est pas une fatalité, mais le symptôme d’une gouvernance qui n’a pas encore pleinement accepté sa propre modernisation.

Ceux qui croient encore à la force de la GZ212, de l’initiative et de la solidarité nationale doivent désormais prouver que le volontarisme collectif peut être plus fort que l’inertie institutionnelle.

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