Lecture du blueprint de la CNT-ONMT

La grande question n’est plus de savoir si le tourisme marocain est revenu, mais s’il est prêt à changer d’échelle. C’est précisément l’ambition affichée dans un blueprint stratégique conjoint CNT-ONMT couvrant la période 2026-2030 qui nourrit, apparemment, l’ambition de faire du Royaume une destination référence en plus de celle de la croissance, capable de se hisser dans le Top 15 mondial et d’accueillir jusqu’à 35 millions de touristes à l’horizon 2030.

CNT x ONMT

Derrière cette espérance légitime, les deux parties s’arment d’une vision bien affichée: connecter l’expansion aérienne, la diversification des marchés, un repositionnement narratif du «Maroc des lumières» et une montée en gamme à travers les régions. Mais pour que cette ambition prenne corps, l’enjeu de la capacité d’exécution domine tous les autres.

Le plan s’appuie, en effet, sur trois pôles essentiels.

D’abord, la connectivité aérienne, véritable maillon nodal, avec l’objectif de doubler le nombre de sièges, renforcer les long-courriers et diversifier les hubs d’entrée.

Ensuite , vient la distribution et la digitalisation, avec une place accrue pour les OTA, les TO, les contenus inspirants, l’IA conversationnelle et un « trip-builder » destiné à réduire la friction entre désir et réservation.

Enfin , la transformation de l’image touristique, en misant sur un Maroc pluriel, solaire et arrimé à ses terroirs, une stratégie qui vise à augmenter la valeur par visiteur plus encore que les volumes.

Cette articulation peut être perçue comme une sorte de maturité stratégique où le Maroc cherche à convertir, fidéliser et répartir mieux les flux. La cohérence globale est d’autant plus notable qu’elle place la stratégie dans le contexte d’un secteur mondial devenu hyper-concurrentiel, dominé par l’émotion, les expériences authentiques et la maîtrise des data.

Des atouts réels qui peuvent justement accélérer la transformation, appuyée par plusieurs forces structurantes.

Le concept d’un «Maroc source de lumières », mosaïque de cultures, d’artisanats, de sensations, parle aux nouveaux voyageurs, plus sensibles à l’authenticité et à la richesse émotionnelle qu’aux itinéraires standardisés. Ce revirement est d’autant plus pertinent qu’il permet de valoriser l’art de vivre, la gastronomie, les savoir-faire et les paysages, autant d’éléments distinctifs encore sous-exploités à l’international.

La volonté de s’appuyer sur les locomotives Casablanca-Marrakech-Agadir pour irriguer les régions moins visibles comme Fez-Meknès, Souss intérieur, Oriental et Drâa-Tafilalet, est un tournant. On ne parle plus ici d’un marketing uniforme, mais d’une logique d’écosystèmes et de corridors touristiques.

Comme on peut s’en rendre compte, le plan assume pleinement le rôle central des OTA et des TO, notamment pour les marchés lointains. L’idée d’un « Morocco Trip Builder », plateforme inspirant-réservant guidée par l’IA, répond à la tendance lourde du raccourcissement du cycle décisionnel, où une vidéo de 30 secondes peut devenir un acte de réservation.

Toutefois, et comme dans toute stratégie ambitieuse, cette dernière porte en elle ses fragilités. La lecture avertie du dit blueprint révèle quatre risques majeurs.

1. La dépendance aux compagnies aériennes : un talon d’Achille: Doubler les sièges, développer les long-courriers et multiplier les partenariats suppose des engagements financiers lourds. Or, la stratégie reste floue sur les mécanismes contractuels permettant de sécuriser ces routes, soit les incitations financières, les clauses de route minimale, la garanties contre la saisonnalité et le partage de risque pour l’ouverture de nouvelles destinations.

À défaut de précision, le Maroc s’expose à un déséquilibre chronique d’une ambition volumique soutenue par des partenaires dont les intérêts fluctuent.

2. Une gouvernance qui manque de granularité: Le document abonde en chantiers : labellisation, hubs créatifs, centre de contenus, CRM national, intelligence de marché, outils IA… mais la question essentielle demeure: qui fait quoi, quand et avec quel budget ?

Sans un tableau de bord trimestriel et une gouvernance bicéphale CNT-ONMT dotée de pouvoirs d’arbitrage, le risque est un empilement d’initiatives éparses, loin d’une exécution militaire nécessaire pour tenir les objectifs 2030.

3. Une durabilité encore trop incantatoire: Le plan évoque l’impact environnemental, mais n’avance ni trajectoire chiffrée, ni mécanismes opérationnels devant l’absence de quotas ou de régulation pour les sites sous pression, pas de fonds de préservation alimenté par la taxe de séjour, aucun engagement CO₂ lié aux compagnies aériennes ou aux produits touristiques et manque d’indicateurs publics sur la pression dans les médinas, oasis, littoraux.

Le risque est de transformer des réussites court-termistes en déséquilibres long-terme, comme l’ont vécu Barcelone, Venise ou Bali.

4. L’inclusion des régions : vision juste, moyens incertains: Multiplier les vols vers Fez, Ouarzazate, Essaouira ou Dakhla est essentiel. Mais développer ces destinations sans plan massif d’accueil en capacité litière, mobilité interne, formation linguistique et digitale, peut créer des écarts de qualité nuisibles à l’image globale.

Quelles priorités alors pour réussir ?

Pour entrer dans le Top 15 mondial, le Maroc doit changer sa manière de mesurer le succès. Les arrivées ne suffisent plus.

Il est indéniable que Maroc entre dans une phase déterminante où plusieurs défis l’attendent. La question n’est plus de redresser notre tourisme, mais de le réinventer. Le blueprint CNT-ONMT a le mérite de la clarté, de la modernité et de l’ambition. Mais comme toutes les stratégies à fort potentiel, il ne réussira qu’à la seule condition d’une exécution rigoureuse, contractuelle, transparente et mesurée.

Si notre pays parvient à sécuriser son aérien, structurer sa gouvernance et corréler croissance et durabilité, alors l’objectif de 30 à 35 millions de visiteurs n’aura rien d’utopique. Il sera le résultat logique d’un pays qui aura fait le choix non seulement d’être attractif, mais d’être exemplaire.

Read Previous

Le Tableau de Bord National d’octobre présente un format plus modernisé et précis

Read Next

Le CRT et l’ARIH Rabat-Salé-Kénitra mouillent la chemise pour la CAN 2025

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *